Franck Levy est passé par plusieurs postes de directeur financier. Tant en termes de périmètre (site, BU, Groupe) qu’en termes de secteurs (équipement automobile, emballages, sidérurgie…). Ou encore d’actionnariat (Groupe coté, Fonds de Private Equity, actionnaire familial…). Ce passionné de BFR partage aujourd’hui avec nous quelques bonnes recettes pour gérer le cash et réaliser une bonne gestion des stocks :

 

Franck, parlez-nous de vos expériences en matière de pilotage et prévision de trésorerie.

« Je me souviens d’une prévision de trésorerie faite le 15 décembre pour le 31 décembre, chiffre dont on savait qu’il serait scanné par tous nos partenaires financiers. Au 2 janvier, le réel est tombé, nous avions fini l’année avec plusieurs millions d’euros de mieux que le prévisionnel. Tout le monde était content, pas moi, tant l’écart avec la prévision était grand.

Nous avions un système en apparence hyper robuste (des prévisions hebdomadaires sur les 23 semaines à venir, des tableaux complexes, des équipes disciplinées…) mais à un horizon de 2 semaines. Notre système était aussi précis qu’un tractopelle en marche arrière. »

 

Comprendre l’origine du problème

« J’ai alors compris qu’historiquement la pression pour tenir la prévision de trésorerie était si forte que chacun avait pris l’habitude d’être hyper conservateur. En fin de compte, on baissait la barre pour s’assurer de la passer. On avait un bon outil, mais qu’on utilisait mal, car notre état d’esprit était guidé par la peur et non la recherche de la performance. Il n’y avait pas non plus de système de management pour comprendre et traiter les causes d’écart et les diminuer dans le temps.

On a discuté de ce point avec les équipes, et sans hésitation, on a décidé de raccourcir l’horizon de temps. Essayons d’être précis à 1 mois 2 mois 3 mois, et on verra les 6 mois plus tard. On a par ailleurs mis en place des réunions mensuelles –incluant les DG des sites- pour comprendre les causes d’écart et les traiter. Et enfin on a remplacé la peur et le sentiment de culpabilité par la recherche de la performance et l’amélioration continue. Ce qui est en effet condamnable, ce n’est pas d’avoir un écart avec le prévisionnel, c’est de ne pas chercher à comprendre pourquoi on a un écart.

 

Très vite, notre précision s’est améliorée, KPI à l’appui. Les équipes ont compris que la prévision de trésorerie était avant tout une question de management bien plus qu’une question de chiffres. »

 

Quels événements ont marqué votre carrière au sujet du BFR ?

« Je me suis intéressé au BFR il y a une quinzaine d’années.  A l’époque, je croyais que le BFR était une problématique uniquement financière. J’étais bien naïf ! J’ai commencé à comprendre que c’était autre chose quand on m’a demandé de créer la fonction Credit Management chez Albéa. Nous venions de connaître un impayé important, et nous voulions nous améliorer rapidement.

En un an, nous avons retourné une situation en faisant passer le ratio de retards vs la balance client de 25% à 5% ; l’amélioration était importante, environ 25 m€,  et tous les sites (une trentaine) avaient progressé. »

 

Déploiement du Credit Management chez Albéa

« Pour y arriver, en quelques mots, le projet a été déployé selon ce que nous appelions le principe des « oreilles de Mickey » : Outils, système de management, état d’esprit. Trois éléments pouvant être représentés sur un schéma prenant la forme de la tête de la célèbre souris de Disney. Tout le monde avait un rôle, du CEO qui portait l’étendard du projet aux comptables clients qui étaient en charge de la relance. Mais en passant aussi par les forces vives, notamment les commerciaux et les financiers dont nous avions aligné les intérêts. Un des facteurs clés de succès fut d’ailleurs de traiter dès le début les inquiétudes des commerciaux, qui pensaient pour certains qu’à mettre trop de pression sur les clients, on finirait par les perdre.

Le Directeur Commercial a joué un rôle important et bénéfique pour traiter ces inquiétudes, et les vertus du Kaizen ont fait le reste. »

 

La place du management

« Si je fais a posteriori le calcul, nous avons dû animer plus de 600 réunions en un an. Si on ajoute les séminaires de formation aux techniques de relance, les benchmarks externes, les déverrouillages psychologiques, d’implication de tout le top management, vous comprenez pourquoi je parle de forte dimension managériale. C’est devenu clair pour moi, le management du cash passait avant tout par celui des hommes !

Ce fut un tournant pour moi, mais peut-être aussi pour le groupe, car un an plus tard, nous étions rachetés par Sun Capital Partners, un fonds de Private Equity. Et la maturité que nous avions acquise sur la gestion de l’encours clients a aidé pour attaquer les encours fournisseurs et les stocks. »

 

Même projet, différente cible : les acheteurs

« Ce fut un second tournant. Accompagnés au début par des consultants, nous avons finalement déployé le même type de système que celui mis en place pour les clients. Cette fois-ci avec les acheteurs (partie fournisseur) et les logisticiens (pour les stocks). Ce fut, là encore, un projet d’entreprise. Toutes les fonctions étant concernées, et une fois de plus, le top management a répondu présent. Après le départ des consultants, nous avons continué à améliorer nos outils, en montant un module avec le support des équipes d’Amélioration Continue.

Pour faire court, en 2 ans à iso conditions, les stocks ont été diminués de 10 m€ et les dettes fournisseurs ont été augmentées de 15 m€. Si on ajoute l’amélioration sur les créances client que nous avions réalisée juste avant, le compteur du BFR avait diminué de 50 millions d’euros. Soit 30% en trois ans. C’était un beau succès d’équipe ! »

 

Gestion des stocks, est-ce plus difficile que de s’attaquer aux encours clients et encours fournisseurs ?

« Oui, des trois, c’est le plus compliqué à traiter.

C’est pour ça qu’idéalement, cela ne doit pas être piloté dans une logique de baisse du BFR mais dans une logique de cure d’assainissement de l’entreprise. Je m’explique : la moindre faiblesse dans le business model ou dans la gestion comme une stratégie imprécise sur un segment, une offre commerciale faible ou des procédures inadaptées… se traduit généralement par un stock additionnel. La bonne nouvelle, c’est que du coup, en regardant de près les stocks, on a de grandes chances de trouver des pistes de progrès importantes pour le business. Le CEO d’une entreprise a finalement, à travers un projet d’optimisation et gestion des stocks, l’opportunité d’améliorer significativement son entreprise.

Là encore, j’emploie souvent une image, celle des régimes. On peut perdre rapidement quelques kilos, c’est assez facile si on fait attention pendant quelques temps, mais on sait tous que le plus dur est surtout de ne pas reprendre les kilos perdus. La baisse des stocks ressemble un peu à ça ; s’attaquer aux stocks permet d’abord d’améliorer l’efficacité d’une entreprise. Et permet par ailleurs de générer du cash flow. C’est dans ce sens qu’il faut le voir. »

 

Quel serait une des premières choses à regarder, pour celui qui voudrait attaquer le sujet de la gestion des stocks ?

« Probablement regarder les références de stocks au travers d’un double prisme : en valeurs (par ordre décroissant) et en termes de couverture. C’est-à-dire combien de temps en moyenne une référence reste dans vos stocks. Le mariage des deux approches vous permet d’identifier les premières cibles, et de définir des têtes de Pareto.

A celui qui a prévu de s’attaquer à ses stocks, je lui conseillerai de garder à l’esprit cette notion de couverture donc de temps. Elle est moins intuitive que la notion de quantité.

Les gens pensent souvent que s’ils ont trop de stocks, c’est parce qu’ils ont trop acheté ou trop fabriqué. Alors que, la plupart du temps, ils n’ont pas acheté ou fabriqué trop de produits mais les ont achetés ou fabriqués trop tôt.

Disons-le autrement, pour diviser par exemple vos stocks par deux, il « suffit » que vos produits restent 2 fois moins de temps en stocks. Donc qu’ils tournent plus vite. C’est basique, mais moins intuitif. »

 

Vous parlez souvent de Kaizen et d’amélioration continue, quel est le lien avec le BFR, pouvez-vous nous en dire plus ?

« Les démarches dites Kaizen, soit littéralement « changement pour le mieux » en japonais, on les traduit par amélioration continue. Elles sont ultra classiques au sein des usines mais elles restent souvent insuffisamment appliquées par les fonctions supports et les fonctions non liées directement à la production. Je parle des communautés Finance, RH, Commerce et Achats.

Vous venez de me brancher sur un sujet qui me tient à cœur, alors je vais me forcer à être bref. En un mot, sachez que le monde du Kaizen recèle une kyrielles d’outils et de méthodologies bien utiles pour celui qui souhaite lancer un projet de réduction du BFR. »

 

Exemple de la méthode Kaizen

« Un simple exemple : j’ai souvent été frappé par le nombre d’actions dont on ne vérifiait pas qu’elles traitaient bien le problème identifié. Appliquer de temps en temps une logique de roue « PDCA » (Plan, Do, Check, Act), ou roue de Deming, a une vraie utilité. Concrètement, on définit une action (« Plan »), on la met en place (« Do »), on vérifie que l’action a bien traité le problème identifié (« Check »). Et si ce n’est pas le cas, on rectifie le tir (« Act »).  Ce phénomène se répète inlassablement, c’est pourquoi on parle de « roue » PDCA. C’est un exemple, on pourrait en prendre mille autres dans l’univers du Kaizen. »

 

Dans un contexte de trésorerie plus tendue, la stratégie est-elle différente ?

« Il y a 10 ans, je vous aurais probablement dit que si la trésorerie est tendue. Il faut faire encore plus attention au BFR et faire encore plus d’effort pour le baisser.

Aujourd’hui, si votre trésorerie est tendue, je vous dirais d’abord de faire attention. Car cela peut être le résultat d’un business model inadapté, d’une faiblesse vis à vis de vos concurrents, et donc d’un état de fragilité latent…  Le problème, c’est qu’attaquer un projet de réduction de BFR peut être un coup de grâce et vous achever. Il faut donc réfléchir un minimum avant de lancer un projet BFR. Je peux prendre là aussi une image. On ne demande pas à une personne très malade de faire un régime et de se rendre à la salle de sport. D’abord, elle doit reprendre des forces, et même du gras. Ensuite, quand la personne est rétablie, oui, elle peut aller à la salle de sport. »

 

En résumé, quels sont selon vous les points primordiaux pour améliorer sa gestion de trésorerie ? Quelle est la place du management dans les projets de réduction de BFR ?

« Je reviens aux oreilles de Mickey citées plus haut. Il y a trois choses essentielles :

  • Un outil adapté aux besoins de l’entreprise.
  • Un système de management qui sache aiguiller les financiers et les non financiers dans l’utilisation de l’outil et la recherche de la performance.
  • Et un bon « mindset », c’est à dire qu’il est indispensable que les équipes soient prêtes pour les changements qui devront être opérés. Pour ce faire, il faut créer de l’adhésion. Pour créer de l’adhésion, il faut faire participer les acteurs. Tous les acteurs.

Or, il faut bien reconnaître que bien souvent, les projets de réduction de BFR sont initiés et pilotés par les financiers, qui sont centrés prioritairement sur l’outil. »

 

La place de l’outil financier

« L’outil, c’est bien mais c’est insuffisant.Le meilleur tableau Excel du monde, seul, ne vous donnera pas grand-chose : ni pertinence de vos prévisions de trésorerie, ni réduction du BFR ; Il faut avant tout manager les hommes, ce qui veut dire que les projets de réduction du BFR sont autant des problématiques RH que des problématiques financières. Peut-être finalement que le premier réflexe d’un CFO qui aurait un projet BFR à traiter serait d’aller voir son DRH et de lui proposer de travailler ensemble. Je sais qu’il existe des trophées du meilleur binôme DAF-DSI, je ne sais pas s’il existe le trophée du meilleur binôme DAF–DRH, mais cela aurait du sens. »

 

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